Critique de L'Ombre en fuite de Richard Powers - Partie 1
Les précédents romans de Richard Powers (Le temps où nous chantions, La Chambre aux échos) avaient déjà prouvé qu'en plus d'être un romancier grandiose, l'écrivain est aussi un expérimentateur et un styliste. Confirmation avec L'Ombre en fuite, son dernier ouvrage traduit en français (neuf ans après sa première publication) : un roman exigeant qui porte sur l'imagination humaine, et procède autant d'un travail sur les personnages que sur les situations.
Lignes de fuite
L'Ombre en fuite de Richard Powers s'articule autour de deux fils narratifs et d'une bobine. Le premier fil est un fil qui roule : Adie, une artiste peintre en « recherche de dynamique », est recrutée par une ancienne connaissance pour participer à un projet novateur baptisé la Caverne, qui consiste à créer et à développer le premier espace virtuel immersif de l'Histoire. Comme l'équipe informatique de Seattle qui y travaille manque de souffle et de vision, Adie intervient en renfort pour donner une âme à l'ensemble. Elle découvre les joies et la magie de l'informatique, s'initie à l'univers de la création graphique (nous sommes à la fin des années 80), duplique des styles visuels empruntés aux plus grands peintres, au Douanier Rousseau en particulier.
La Caverne devient son huître et son horizon, une occasion de créer enfin un objet d'art pur et d'autant plus parfait que son développement (à ce stade) semble affranchi des contraintes habituelles du marché de l'art et du commerce. Le fil Adie est un fil romanesque qui serait un fil traditionnel et un brin soap façon Microserfs ou Génération X (avec développeurs géniaux et ados attardés, romance et fraîcheur de vivre), si Powers n'en profitait pas pour disserter ad lib sur l'art et ses vertus.
On s'ennuie assez peu, emporté par l'exaltation d'Adie, le rapport entre la Caverne en gestation et le livre qu'on découvre.
Le second fil narratif est un fil coupé ou qu'on a choisi d'arrêter. Un professeur de lettres américain d'origine arabe est kidnappé par des islamistes alors qu'il venait de démarrer une année de cours au Liban. Il est claquemuré dans une cellule de quelques mètres carrés, affamé, soumis à la torture psychologique. Sa vie est mise entre parenthèses. Powers nous parle de lui à la deuxième personne du pluriel (« vous êtes enfermé ») et cela produit un effet étrange d'identification dont on ne comprend pas bien les ressorts.
Daniel Quinn est un écrivain de polar qui travaille sous le pseudonyme de William Wilson. Il a perdu sa femme et son enfant, et ne vit plus que en publiant de temps en temps ses romans de policier. Un jour il reçoit un coup de téléphone d'une certaine Virginia Stillman. Celle-ci compose par erreur le numéro de téléphone de Quinn alors qu'elle pensait téléphoner au détective privé Paul Auster. Daniel Quinn, au lieu de raccrocher et pour palier à son désoeuvrement, va sa faire passer pour ce détective et accepter la mission qu'on lui propose. Virginia souhaite qu'il suive le père de son mari, Peter Stillman, qui vient de sortir de prison. Il avait été enfermé pour avoir séquestré son fils pendant plusieurs années durant son plus jeune âge. Elle craint que le père en veuille toujours à son fils, qui porte d'ailleurs le même nom que lui, et qu'il veuille le tuer. Commence alors pour Daniel Quinn une longue filature à travers New-York, la cité de verre dans lequelle les reflets abondent. Mais Peter Stillman déambule dans la ville sans but apparent et ramassant ça et là toutes sortes de détritus sur lesquels il tombe. Daniel Quinn va essayer de comprendre ce qui se passe dans la tête de Stillman, mais tous ses faits et gestes ne semblent avoir aucune logique. Daniel Quinn se perd de plus en plus, sombrant petit à petit dans la folie.
Nouvelliste d'origine, Tim Lane déplace son talent littéraire vers la BD : avec la puissance graphique d'un Charles Burns, son premier recueil d'histoires courtes sonde le mal-être des parias de l'Amérique, sous le double signe de la Beat Generation et du rock'n'roll. Noir c'est noir...
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